Le Train Renard, légende de la Belle Epoque

De la Belle Epoque quelques légendes survivent, le Train Renard est l’une d‘entre-elles
.
Son père est Charles Renard (1847-1905) le créateur de l’Aérostation Moderne, concepteur et pilote du Premier  Dirigeable de l’Histoire. On lui doit de nombreuses innovations de grand  avenir : la standardisation en mécanique, une pile électrique de très forte capacité, la production et le stockage de l’hydrogène, le perfectionnement des torpilleurs, le ballon captif moderne, le ballon-sonde météo, et la théorie du plus lourd que l’air.
Le génie multiforme de Renard le conduisit à imaginer un train routier, dont toutes les  voitures possédaient un essieu moteur. Bien que développé initialement pour l’armée,  le  colonel Renard reçut la permission d’en faire une version civile. Présenté dans le cadre du salon de l’auto de décembre 1903, le train Renard effectua de nombreuses tournées de démonstration en France, dont celle de Rouen à Dieppe.
Finalement quatre compagnies virent le jour en  France : La Société Vosgienne des Trains Renard (Remiremont-Plombière), La Compagnie des Trains Renard Bretons  (Lamballe- Saint-Brieux), La Compagnie des Trains Renard de la Loire  (Roanne -Thizy), La Compagnie des Trains Renard du Cher (Nérondes-Blet) et la Compagnie des Trains Renard du Boulonnais (Wimereux-Cap Gris-Nez). La compagnie du Boulonnais est celle qui eut la plus longue de vie : 1906-1914.
En dehors des lignes  français des Société du Train Renard  virent le jour en Hollande, Hongrie et Iran.
Fondée en 1907, la “Renard Road and rail transport Corporation” passe un accord avec la  Société Daimler de Coventry pour la fabrication de trains  routiers adaptés  aux grands  espaces de l’empire britanniques : Egypte, Canada, Australie, Afrique  du Sud. Les trains  Renard britanniques furent  fabriqués  jusqu’en 1914. L’un d’entre-eux, restauré  est visible  actuellement en état  de marche  près d’Adélaïde en Australie.
Des idées de  Charles Renard, l’une est  toujours aujourd’hui universellement utilisée : la  Normalisation en mécanique avec les Nombres Renard.
Le Train Renard de Rouen à Dieppe, sur le verglas et dans la neige.

C’est dans le mois  qui suivit la présentation au salon de  l’auto de 1903, soit janvier 1904, que fut organisée la présentation sur place entre Rouen et Dieppe.
Les conditions météorologiques allaient en faire une démonstration exceptionnelle : un ballet sur le neige et le verglas.
Le  départ eut lieu le dimanche 27 novembre 1904, à 8 heures du matin, Boulevard Beauvoisine à Rouen . Ce n’est pas moins de quatre vingt personnes qui prirent place dans les  trois premières voitures du train et les voitures qui allaient lui faire cortège.
L’Impartial de Dieppe” du 30 novembre 1904, publia un splendide compte-rendu de cette ballade glacée :
Neufchâtel. Une foule énorme assiste au départ, forme la haie, et suit le train examinant avec “Un coup de sifflet, et à l’heure juste, le train s’ébranle et s’engage dans la côte de curiosité le mouvement de la traction. On croyait que le train ne pourrait arriver en haut, il  n’en est rien, la côte est montée à la vitesse de 6 kilomètres à l’heure ; il n’y a pas d’arrêt, on arrive en haut ; l’ascension est terminée. C’est un premier succès, un excellent départ.
Les curieux abandonnent alors quelques voitures automobiles particulières et plusieurs cyclistes vont suivre en amateurs.
C’est Boisguillaume, à la mairie d’une façade plus coquette que celle de Dieppe. Le train continue toujours sa route, les curieux sont toujours nombreux sur le bord des portes et de la route, mais l’enthousiasme paraît faire défaut, ils sont tous  grelottants, car il fait froid. Les  frondaisons - qui, il y a encore une quinzaine montraient de belles teintes or pâle et cuivre rouge - sont nues ; c’est la neige qui couvre d’un épais manteaux blanc les plaines et la route, et c’est ce même tableau qui va se dérouler jusqu’à Saint-Saëns.
Cela a son charme, mais porte à la mélancolie et on se laisse emporter par l’excellent train, lequel en route plate nous procure des vitesses de 14 à 15 kilomètres. On a le plaisir de rencontrer une vieille diligence - mettons omnibus, c’est un peu moins vieillot - à la couleur jaune, aux listons rouges ; c’est l’omnibus de Quincampoix. Par condescendance probablement, il s’arrête pour regarder passer le train que contemple le pauvre bidet, heureux  de souffler un moment en pensant que si c’est l’avenir de la traction, c’est peut-être aussi la fin de sa misère.
Deux petits incidents : nous allons les mentionner. Les trois voitures de voyageurs étaient  complétées par un fourgon à bagages très lourd et de plus … ferré à glace ; d’où gêne pour la vitesse. On s’arrête, on coupe la queue du “Renard” et on abandonne le fourgon sur le milieu d’une route, dans une  descente ; c’est une voiture automobile qui est chargée de le remorquer au refuge. Mais hélas, trois fois hélas, la dernière voiture ne trouve point son compte à cette opération et, par moments, lorsque le train donne de la vitesse, la route n’est pas assez large pour les fantaisies zigzagantes de la dernière voiture.
La sensation est plutôt … ennuyeuse.

Cette situation ajoutant à l’ennui de la neige et du froid, la mine s’allonge et on perd la considération des voyageurs facétieux qui suivent en automobile.
Empressons-nous d’ajouter qu’elle n’avait rien d’alarmant et que pareille situation ne devra pas se produire avec le nouveau matériel.
Enfin c’est la ligne de Dieppe-Paris (Pontoise) et on fait la rencontre de M. Bignon, député ; Chaleil, député ; Aubert, sous-préfet de Dieppe, venus à la  rencontre du train.
Et bientôt, c’est la descente de Saint-Martin-Osmonville ; elle se fait dans  d’excellentes conditions, c’est la preuve que le conducteur est entièrement maître de sa vitesse ; la dernière voiture elle-même , nous descend très régulièrement ; puis on contourne la barrière d’un passage à niveau de la ligne d‘intérêt local Saint-Saëns  à Buchy, chaque voiture suivant la même courbe très accentuée. Aussitôt après, grande vitesse pour Saint-Saëns où nous  arrivons à onze heures moins le quart.
Un déjeuner de 90 couverts est vite servi par M. Dejardin de “L’Hôtel de Rouen”, dans une vaste salle des fêtes. Il est rapidement englouti, c’est une journée de vitesse, à peine a-t-on le temps de noter les présents : M. Bignon, député, préside ayant à ses côtés Madame Surcouf et Monsieur Aubert sous-préfet de Dieppe…
On arrive vite aux discours. C’est Monsieur Bignon qui prend la parole au nom du Conseil Général, pour remercier le syndicat de l’accueil fait à tous ceux qui prennent par à cette intéressante épreuve. Il porte un toast à la santé de Madame Surcouf et émet le voeu de voir  certaines parties de notre département dotées le plus tôt possible d’un moyen de locomobile utile et rapide.
Il lève également son verre au commandant Renard et à Monsieur Léchalas.
Prennent ensuite la parole : Messieurs Pichon, commandant Renard, Maillard, conseiller général de Duclair.
Tous ces toasts sont applaudis ; on se félicite du succès de l’expérience par un temps de neige ; on boit à l’avenir du train Renard dans la région normande et l’on remercie la cité hospitalière de Saint-Saëns.
C’est la fin. Il reste juste le temps aux Dieppois de serrer la main à leur ancien sous-préfet Monsieur Chaleil, et d’endosser les fourrures autos.
C’est la belle route de Saint-Saëns à Dieppe par Bellecombre. La neige disparaît et le paysage de cette belle vallée laisse deviner le charme qu’on y trouve aux belles saisons.
A Bellecombre, premier arrêt. La foule est joyeuse, les habitations ornées d’un drapeau, la première porte cette inscription : “Au Conseil général - Salut et merci”. Quelques mots de présentation avec les organisateurs de la réception ; trois bouquets offerts à Madame Surcouf, à Monsieur Bignon, président du Conseil général, au commandant Renard et c’est le départ, en laissant sur le côté de la route la deuxième banderole “Honneur au Train Renard”.
On traverse les charmantes communes  de Muchedent, Grand-Torcy ( le fusil tonne en l’honneur du train), Saint-Germain-d’Etables, Martigny (on récolte des bouquets et on salue au passage son excellent maire, M. Leconte ), Arques (foule nombreuse et enthousiaste) et enfin Dieppe où sur la route, avant l’arrivée, on  rencontre bon nombre de voitures automobiles venues au devant du train, citons : Monsieur Vitet, maire de Saint-Nicolas et Monsieur A. Couaillet.
C’est enfin Dieppe où l’on retrouve le foule encore pus nombreuse qu’au départ, formant la haie depuis la papeterie jusqu’à l’Hôtel de Ville  où le train Renard opère une belle entrée ; il est présenté aux membres du conseil municipal réunis. On entre ensuite dans la grand salle et tout à tour prennent la parole, notre citoyen Monsieur Benoist, avocat, membre du syndicat ; Monsieur Coche, maire qui adresse des souhaits de bienvenue, et adresse ses félicitations aux inventeurs ; le commandant Renard qui remercie et Monsieur Surcouf, ingénieur, qui en très bons termes, dit tout son plaisir de travailler  autour de l’œuvre intéressante du commandant Renard.
On applaudit. C’est la fin d’une journée bien remplie dont vont tirer profit, il faut l’espérer le syndicat et aussi les nombreuses régions de la Normandie qui sont encore sans moyens de communications pratiques, ce que peut leur assurer le “Train Renard” avec sa facilité d’évolution.”
Effectués dans des conditions particulièrement difficiles, ces essais avaient donc été couronnés de succès, et deux journaux publieront des photos splendides de cette ballade sur la neige et le verglas.
L’aggravation des conditions météorologiques au cours de la nuit allait être à l’origine d’une nouvelle ballade sur glace le lendemain.
Le train Renard qui avait quitté Dieppe à huit heures et demi pour opérer son retour en passant par Buchy, a dû s’arrêter à Torcy ; le  verglas avait en effet rendu la route impraticable.
Le syndicat d’exploitation du train Renard, soucieux d’expliquer les raisons du retour sur Dieppe du train Renard, fit publier le texte suivant :
“Le train renard qui, dimanche, a accompli avec un plein succès et dans de très difficiles conditions, le parcours de Rouen à Dieppe, a quitté cette dernière ville lundi matin, vers 8 h ½. A quelques kilomètres en aval de Torcy, il a rencontré un verglas exceptionnellement dangereux qui a d’ailleurs occasionné plusieurs accidents d’automobiles, de voitures attelées et de piétons. Sur l’avis et les conseils du service de la voirie, son conducteur a cru prudent  de s’arrêter à Torcy-le-Grand, la situation lui étant signalée comme plus mauvaise encore au delà de son point d’arrêt. Au lieu de continuer sa route par Buchy, Blainville, Ry et Martinville sur Rouen, il est rentré immédiatement à Dieppe pour être dirigé sur Paris, où en raison de stricts engagements pris par lui, le syndicat s’était engagé à le remettre mardi matin entre les mains de MM. Surcouf et Cie”.
Référence : Le  Train Renard, d’Ambleteuse à Adélaïde. Publié dans la  Collection Mémoire  Boulonnaise - N°3. Christian Bailleux.
Comme les Anglais ont construit environ 200 trains Renard à Coventry (dont j'ai une vingtaine de photos). Si des lecteurs anglais sont intéressés, je serais ravi d'entrer en contact avec eux et de travailler à un ouvrage sur les trains Renard anglais.
C. Bailleux.
Comité de Jumelage  Gournay-en-Bray  -  Hailsham
Le train Renard  en seine maritime      Janvier 1904